06 Octobre 2023
« Un système qui exclut les deux tiers de la population mondiale ne peut être juste ». (Singoh YO)
Cette citation du prix Nobel d’économie Muhammad Yunus (2006) illustre l’importance de l’inclusion financière. Elle souligne la nécessité d’un accès effectif et abordable à des services et produits financiers de base, tels que les paiements, l’épargne, le crédit et l’assurance, fournis par des institutions financières à tous les adultes en âge de travailler. L’inclusion financière représente un facteur clé pour le développement économique et social de l’Afrique, car elle permet de réduire la pauvreté, de stimuler la croissance, de favoriser l’entrepreneuriat, de renforcer la stabilité financière, etc. (Banque mondiale, 2021). Ainsi, selon la Banque mondiale, le taux d’inclusion financière en Afrique subsaharienne s’établit à 55 % en 2021.
Toutefois, ce taux reste encore inférieur à la moyenne mondiale (marqué par une évolution de 51% en 2011 à 76% en 2021). En effet, des disparités importantes selon les pays, les zones rurales ou urbaines, les genres ou les tranches d’âge existent. Par exemple, sur les 55% des adultes en Afrique subsaharienne qui disposent d’un compte bancaire en 2021, près de 33% possèdent un compte de mobile money (Banque mondiale, 2021).
Au niveau de la zone UEMOA, le taux de bancarisation élargi, qui prend en compte, outre le taux de bancarisation strict, la proportion de la population ayant un compte auprès des institutions de microfinance, enregistre une hausse significative. Il évolue en effet, de plus de 10%, et passe ainsi de 28,4% en 2012 à 42,4% en 2021. Quant au taux d’inclusion financière ou taux global d’utilisation des services financiers, celui-ci poursuit sa tendance haussière, enregistrant une évolution de de 28,6% en 2012 à 67,2% en 2021.
Dès lors, les institutions financières locales (IFL), telles que les banques, les mutuelles d’épargne et de crédit, les caisses populaires, les institutions de microfinance ou encore les associations villageoises d’épargne et de crédit, jouent un rôle essentiel pour favoriser l’inclusion financière.
Les IFL se caractérisent par leur proximité géographique, sociale et culturelle avec leurs clients, leur connaissance fine des besoins et des capacités de remboursement des emprunteurs etc…
Toutefois, elles se trouvent confrontées à de nombreux défis pour assurer leur pérennité, leur rentabilité et leur efficacité. Au nombre de ces défis, figurent la faiblesse des fonds propres, la dépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds externes, la concurrence accrue des autres acteurs financiers, la réglementation prudentielle, le risque de dégradation de la qualité du portefeuille, ou encore la faible adoption des technologies de l’information et de la communication (TIC).
Dans ce contexte, le mobile money offre des opportunités considérables pour renforcer le rôle des IFL dans l’inclusion financière en Afrique (Assadi et Cudi, 2011). Le mobile money désigne l’utilisation du téléphone portable comme moyen de paiement et de transfert d’argent. Il permet aux utilisateurs d’effectuer des transactions financières à distance, sans recourir à un compte bancaire ou à une connexion internet. Ce service connait un essor spectaculaire en Afrique subsaharienne ces dernières années, avec plus de 500 millions d’utilisateurs actifs en 2021, soit plus que dans toute autre région du monde. Par ailleurs, le volume total des transactions enregistre une croissance et s’élève à plus de 1 000 milliards de dollars en 2021.
Le mobile money présente plusieurs avantages pour les IFL et leurs clients. Il réduit en effet, les coûts de transaction, améliore la sécurité et la traçabilité des opérations, élargit la couverture géographique et la diversité des services offerts. Il contribue en outre à accroître la fidélisation et la satisfaction des clients, et à renforcer la résilience face aux chocs externes. Selon les données, les personnes qui disposent d’un compte de mobile money ont un taux d’épargne similaire à celui des détenteurs de comptes bancaires. Ce qui leur permet de mieux faire face aux chocs lorsqu’ils se produisent. (GSMA, 2023).
Par ailleurs, plusieurs exemples d’innovations basées sur le mobile money émergent en Afrique. Selon le rapport annuel 2021 de la BCEAO sur la situation de l’inclusion financière dans l’UEMOA, les innovations introduites par plusieurs fournisseurs de services financiers couplées aux nouvelles technologies permettent d’attirer de nouveaux clients. Ces avancées combinées au recours à la monnaie électronique et l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs, améliorent significativement le taux global d’utilisation des services financiers.
En effet, certaines institutions nouent des partenariats avec les opérateurs de monnaie électronique, en vue de proposer des services financiers relatifs à l’ouverture de comptes d’épargne et à l’octroi de microcrédits aux populations. L’avènement des partenariats entre les FinTech et les banques génère une concurrence accrue au niveau du secteur, favorisant l’ouverture de plusieurs nouveaux comptes de monnaie électronique.
A titre d’exemple, le partenariat entre Baobab Sénégal et Wave, un acteur majeur du mobile money en Afrique permet aux clients de Baobab d’utiliser la plateforme de paiement mobile Wave pour effectuer des transactions en temps réel. Le partenariat entre Orange Money et le réseau des caisses populaires du Burkina Faso (RCPB), offre la possibilité aux clients du RCPB d’accéder à leurs comptes via leur téléphone portable. Le projet bien connu de M-Pesa en Tanzanie et au Kenya ou le cap des 30 millions d’utilisateurs a été franchi en 2022. Celui de Orange Bank Africa, la première banque mobile à avoir obtenu une licence de banque commerciale par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et née d’un partenariat entre le Groupe Orange et le Groupe de bancassurance NSIA Banque, ou encore la Fintech Ivoirienne DJAMO, spécialisée dans les services bancaires en ligne etc…
Ainsi, le renouveau des institutions financières locales en Afrique pourrait transiter par une meilleure intégration de cette solution dans leur stratégie et leur fonctionnement.
Cependant, l’intégration du mobile money dans le modèle des IFL ne s’avère pas dénuée de risques et de difficultés. Elle implique des changements organisationnels, techniques et culturels importants, qui nécessitent un accompagnement adapté et une collaboration étroite entre les différents acteurs impliqués (IFL, opérateurs téléphoniques, autorités réglementaires, etc.). Elle pose également des questions éthiques et sociales liées à la protection des données personnelles, à la prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme, à l’éducation financière des utilisateurs ou encore à l’impact social et environnemental de l’utilisation massive du téléphone portable.
Somme toute, le renouveau des institutions financières locales en Afrique peut découler d’une meilleure intégration du mobile money dans leur stratégie et leur fonctionnement. Celle-ci doit être réalisée de manière responsable et durable, en s’appuyant sur les besoins réels des clients, les contraintes réglementaires et opérationnelles, ainsi que les opportunités offertes par les nouvelles technologies. C’est à cette condition que les IFL pourront renforcer leur rôle de pilier de l’inclusion financière en Afrique.
Singoh YO, Financial Risk Manager
A propos de l’auteur:
Monsieur Singoh YO est Gestionnaire Financier Principal Chargé des Risques de Crédit. Il dispose d’une solide expérience dans le secteur bancaire, acquise au sein de banques commerciales et de banques multilatérales de développement.